- SOCIÉTÉS ANONYMES
- SOCIÉTÉS ANONYMESLa société anonyme apparaît comme la forme de société la plus importante économiquement et la plus perfectionnée. On la retrouve sous cette appellation dans de nombreuses législations (Belgique, France, Espagne, Pays-Bas, Suisse, Amérique latine...), ce qualificatif traduisant la relative indifférence de la société à la personne de ses actionnaires. Elle correspond à la société par actions (en Allemagne et en Italie) ainsi qu’à la «société limitée par actions» (company limited by actions ) en Grande-Bretagne ou encore à la business corporation des États-Unis.Le développement de la société anonyme est directement lié à la révolution industrielle. Le caractère négociable des titres émis permet de drainer vers les sociétés anonymes une part de l’épargne. La possibilité d’une cotation en Bourse des valeurs donne aux sociétés anonymes les plus importantes la faculté de recruter un nombre d’actionnaires leur conférant un potentiel de richesses adapté à la réalisation de vastes objectifs économiques.À côté des sociétés anonymes de grande taille, on trouve (sauf en R.F.A.) des sociétés familiales dont le fonctionnement repose le plus souvent sur l’activité d’un actionnaire largement majoritaire, ancien propriétaire de l’affaire qui a été apportée à la société.Dans la société anonyme, le rôle des organes traditionnels des sociétés se trouve quelque peu affecté. Les assemblées générales peuvent difficilement rassembler tous les actionnaires, et le pouvoir a progressivement glissé des assemblées générales vers les organes de gestion. La centralisation des capitaux dans la société anonyme s’est accompagnée de la concentration du pouvoir économique entre les mains de quelques dirigeants. Par ailleurs, les détenteurs du pouvoir de gestion ne sont plus les détenteurs du pouvoir économique. Il est fréquent que ces derniers délèguent leurs compétences à certains cadres spécialistes de la gestion. Cette «technostructure», institution non indépendante des détenteurs de capitaux, exerce la réalité du pouvoir de gestion.La concentration des capitaux a atteint un stade tel que l’économie contemporaine est aux mains de groupes de sociétés dans lesquels les sociétés anonymes jouent un rôle déterminant. Les caractéristiques des actions ont permis la prise de contrôle de nombreuses sociétés par d’autres, créant ainsi de vastes réseaux économiques dont la cohésion repose sur la détention d’une partie du capital. Il devient de plus en plus difficile de cerner la réalité du pouvoir économique dans les sociétés.On a souvent tendance à confondre la société et l’entreprise, collectivité plus vaste que le seul rassemblement des détenteurs du capital, puisqu’elle comprend aussi les salariés. On a souhaité que le législateur définisse l’entreprise, mais la tâche est d’autant plus délicate que le pouvoir économique dépasse très largement le seul cadre de la société qui sert de vêtement juridique à l’entreprise. La politique économique des grands groupes industriels est de plus en plus difficile à contrôler dans la mesure où elle tend à être élaborée sur une base transnationale. C’est ce qui explique les obstacles que rencontrent les législations nationales qui tentent de perfectionner le mécanisme des sociétés anonymes en vue d’une meilleure protection des actionnaires. À cet égard, les efforts d’harmonisation du statut des sociétés anonymes au sein de la C.E.E. et les tentatives d’élaboration d’un statut d’une société anonyme européenne constituent une réponse au phénomène d’internationalisation des relations économiques.1. ConstitutionAu-delà d’une terminologie variée, la société anonyme présente trois caractéristiques fondamentales:– c’est une société dotée de la personnalité morale, distincte de la personne des associés;– c’est une société de capitaux dans laquelle la responsabilité des actionnaires est limitée au montant de leurs apports;– c’est une société dont les parts sociales sont représentées par des titres négociables: les actions.Dualité des modes de constitutionUne possibilité de choix entre deux modes de constitution est offerte. On oppose ainsi (en Belgique et en France) une constitution instantanée et une constitution successive.Le premier procédé est le plus fréquent: les fondateurs établissent les statuts de manière définitive et souscrivent immédiatement le capital.Le second procédé, plus complexe, est réservé aux sociétés qui font appel public à l’épargne. Les fondateurs élaborent un projet de statuts, puis font appel au public pour la souscription des actions. Une fois l’ensemble du capital souscrit, une assemblée constitutive est réunie. On mesure immédiatement, outre les avantages du procédé qui permet de rassembler un important volume de capitaux, ses dangers. C’est pourquoi le droit français impose aux sociétés faisant appel public à l’épargne un capital social minimum plus élevé (1 500 000 F au lieu de 250 000 F). Par ailleurs, la publicité effectuée par les fondateurs (notice, bulletin de souscription, prospectus) est étroitement contrôlée par la Commission des opérations de Bourse.Une distinction voisine existe en Grande-Bretagne. Si en effet les private companies peuvent commencer immédiatement leur activité, les public companies ne peuvent débuter leur activité qu’une fois le capital social intégralement souscrit. En pratique, cette distinction est désuète dans la mesure où la plupart des sociétés se constituent comme des private companies .Conditions de fondLa loi impose un nombre minimum d’actionnaires pour la constitution d’une société anonyme. C’est le cas en France, en Belgique et en Grande-Bretagne (pour les public companies ) où le chiffre est fixé à sept. Cette exigence est destinée à renforcer la sécurité des tiers et à éviter qu’on ne puisse trop facilement bénéficier de la limitation de responsabilité. L’expérience française montre qu’il est très facile de trouver les sept actionnaires nécessaires.Si, en cours de vie sociale, la société anonyme comporte moins de sept actionnaires, elle n’est pas pour autant dissoute. Toutes les législations modernes – c’est le cas de la loi de 1966 en France – admettent que la société peut bénéficier d’un délai d’un an pour régulariser sa situation. Pareillement, une société anonyme peut survivre alors même qu’elle verrait l’ensemble de ses actions détenu par une seule personne. En ce cas, la législation italienne retient une solution originale: la réunion des parts en une seule main fait disparaître la limitation de responsabilité.La règle du minimum de sept actionnaires présente un inconvénient dans les groupes de sociétés. Il est fréquent de constater l’existence de filiales dont le capital est intégralement détenu par la société mère, le minimum de sept actionnaires étant formellement respecté par une technique de simulation. Ce recours à la simulation est dangereux. Certaines législations (c’est le cas du droit belge) admettent qu’une société anonyme puisse, seule, en créer une autre. Une solution identique est retenue, pour la création de filiales, par le projet de création d’une société anonyme européenne.Ce mécanisme, favorable aux groupes de sociétés, est difficilement conciliable avec le maintien de l’idée que la société est, au moins partiellement, un contrat. Il paraît plus proche de la thèse, essentiellement germanique, du patrimoine d’affectation.La loi impose souvent un capital minimum. Celui-ci est, depuis la loi française du 30 décembre 1981, de 250 000 F pour les sociétés fermées et de 1 500 000 F pour les sociétés ouvertes. L’augmentation des chiffres minimaux s’explique par la volonté d’harmoniser les solutions françaises avec celles retenues par la législation des pays membres de la C.E.E.Dans l’ensemble des États européens (sauf aux Pays-Bas), le capital social doit être intégralement souscrit. Cette règle, liée au principe d’intangibilité du capital social, s’explique par la volonté de protéger les créanciers sociaux. Il s’agit d’éviter que le capital soit partiellement fictif. C’est pourquoi il est interdit: d’émettre des actions en dessous de leur valeur nominale, de distribuer aux actionnaires tout dividende si l’actif net est inférieur au capital social, de modifier le capital social (à la hausse ou à la baisse) sans passer par la réunion d’une assemblée générale extraordinaire, d’intégrer dans le capital des apports en industrie. C’est aussi la raison d’une procédure de contrôle de l’évaluation des apports en nature – leur surélévation frauduleuse étant un délit pénal en droit français – et de l’interdiction faite à la société de racheter ses propres actions.L’exigence de la souscription intégrale du capital social a pu apparaître comme un obstacle à l’investissement de l’épargne dans les sociétés anonymes. Un assouplissement est prévu dans de nombreuses législations: si le capital doit être intégralement souscrit, il peut n’être libéré que par fractions (par exemple: 25 p. 100 en France). Cette faculté de libération échelonnée est toutefois rarement utilisée, même pour les apports en espèces.L’obstacle majeur à l’unification européenne provient des législations anglaise et néerlandaise, dont les conceptions en matière de capital social sont très particulières. On y distingue en effet le capital autorisé , qui est la limite maximale d’émission d’actions par les organes d’administration de la société sans qu’une modification des statuts soit nécessaire (il n’est donc, par définition, pas intégralement souscrit lors de la constitution de la société), et le capital souscrit qui est le seul à être initialement libéré. Son indication dans les statuts précise simplement le nombre et la valeur des actions souscrites par les actionnaires. Or aucun minimum n’existe (sauf pour les public companies) pour ce capital souscrit, ce qui facilite grandement la constitution de la société. L’inconvénient est que la garantie des tiers est faible.Ce mécanisme se retrouve aux Pays-Bas avec cette règle supplémentaire que la société peut racheter ses propres actions (ce qui est impossible en droit français comme en droit anglais) sans que cela implique une modification des statuts. Il suffit que l’on ne descende pas en dessous du capital initial.Pour assurer l’indispensable égalité entre actionnaires, les législations anglaise et néerlandaise exigent que soient, par avance, fixées les conditions d’émission des actions futures ainsi qu’un montant nominal des titres. Ce n’est pas le cas aux États-Unis où la notion de capital social est une notion bien moins importante que dans les droits européens. Les actions n’ont en effet pas de montant nominal; les conditions de leur émission sont déterminées par la situation du marché des titres de la société. On admet même qu’une partie des souscriptions soit affectée non pas au capital, mais à une partie des réserves afin de réaliser, par la suite, des distributions.Contrôle de la constitutionL’autorisation préalable à la constitution des sociétés anonymes a été supprimée à la fin du XIXe siècle, le cas des «compagnies à charte fédérale» au Canada ne pouvant être cité qu’à titre de curiosité historique. Le principe de la liberté du commerce et de l’industrie a été l’argument le plus puissant justifiant cette disparition. Toutefois, les exigences de l’ordre public économique, la nécessité d’une protection des actionnaires et des tiers imposent le maintien d’un contrôle minimum lors de la constitution des sociétés anonymes. À cet égard, on peut distinguer deux grands types de contrôle selon qu’il s’exerce a priori ou a posteriori.Les droits modernes privilégient le contrôle a priori . Il sera plus ou moins accentué selon les pays: simple contrôle formel en France, il peut aller jusqu’à un contrôle de la légalité de la société. Les modalités du contrôle varient: dans certains cas, on impose l’obligation de rédiger les statuts par acte notarié (Belgique, Luxembourg); dans d’autres, le contrôle est effectué par le greffier du tribunal de commerce qui se contente de vérifier la régularité formelle des pièces qui lui sont soumises (France et Grande-Bretagne avec l’institution du Registrar of Companies ). Ces deux formules sont d’une efficacité douteuse. On préfèrera, en vue d’une meilleure protection des tiers, le système de contrôle administratif existant aux États-Unis ou aux Pays-Bas (contrôle du ministre de la Justice) ou encore le contrôle judiciaire (Allemagne, Italie), dans la mesure où l’autorité chargée du contrôle peut paralyser le fonctionnement de la société irrégulière.Le mécanisme du contrôle est lié à l’octroi de la personnalité juridique à la société qui résulte en général de l’immatriculation de la société (France, Allemagne, certains États des États-Unis). Un mécanisme proche consiste à lier la personnalité morale à la délivrance d’un certificat d’immatriculation (certains États des États-Unis) ou d’une attestation de «non-objection» (Pays-Bas). Rares sont les pays qui, fidèles à la conception contractuelle, décident que la personnalité morale apparaît dès la passation de l’acte constitutif.Il serait souhaitable que le droit européen retienne l’idée d’un véritable contrôle judiciaire, le juge saisi pouvant empêcher l’immatriculation lorsqu’il lui paraît que la légalité de la société constituée est douteuse.Le contrôle a posteriori tend à décliner. En application des directives européennes, l’immatriculation de la société a pour effet de purger celle-ci de tous les vices qui l’affectent: les vices du consentement ne sont plus une cause de nullité des sociétés anonymes. Dans les rares cas où la nullité peut être prononcée, elle ne possède pas d’effet rétroactif; elle est assimilée à une dissolution.La nullité étant écartée, la seule sanction du non-respect des dispositions impératives du droit des sociétés réside dans la responsabilité personnelle des fondateurs à l’égard des tiers. Les fondateurs devront réparer tout préjudice causé à un tiers par l’irrégularité de la société.2. FonctionnementL’administrationL’administration de la société anonyme est confiée à un organe collégial. En France, il s’agit, selon la loi de 1867, du conseil d’administration. Cet organe collégial a vu ses prérogatives progressivement transférées au profit de son président. Ce dernier, qui depuis 1940 porte le nom de président-directeur général, devient un véritable organe autonome, investi, par la loi de 1966, des pouvoirs de représentation les plus étendus. La relative confusion entre les compétences du conseil et celles du P.-D.G. a, en définitive, tourné au profit de ce dernier qui engage la société vis-à-vis des tiers alors même que ses actes dépasseraient l’objet social.Le fait que les organes dirigeants soient investis d’un pouvoir légal de représentation constitue l’aboutissement d’un bouleversement de la hiérarchie des fonctions dans les sociétés anonymes. Les membres du conseil d’administration n’apparaissent plus comme les mandataires des actionnaires. De même, le P.-D.G. est plus qu’un simple président du conseil d’administration. Seul, le principe de la révocation ad nutum des administrateurs évoque encore le temps où ceux-ci étaient des mandataires. Dans certains pays, l’évolution est encore plus marquée, puisque les travailleurs, non membres de la société, possèdent en vertu des lois sur la cogestion ce pouvoir de révoquer les administrateurs.Un second mécanisme de gestion des sociétés anonymes a été institué: la direction de la société est confiée à un directoire collégial, un conseil de surveillance étant chargé du contrôle de la gestion. Ce procédé d’origine allemande a été introduit en France par la loi du 24 juillet 1966.On peut donc dire que presque toutes les législations européennes connaissent un mécanisme de gestion de la société anonyme fondé sur la dualité des organes et la dualité des modèles.La loi française donne aux rédacteurs de statuts le libre choix du mode d’administration de la société. Ils retiendront, le plus souvent, le mécanisme du P.-D.G. et du conseil d’administration, mais ils ont le loisir de choisir la formule du directoire chargé de la gestion (il peut toutefois s’agir d’un directeur unique pour les sociétés de petite taille) et du conseil de surveillance. Ce dernier système a conduit à une modification sensible de la répartition des pouvoirs de nomination et de révocation. Dans le mécanisme classique, c’est l’assemblée générale qui nomme et révoque les administrateurs, le P.-D.G. étant nommé par ces derniers en leur sein. Il supporte alors un double risque de révocation: par le conseil ou par l’assemblée générale. Dans le mécanisme nouveau, les membres du directoire ne sont pas nommés par l’assemblée générale mais par le conseil de surveillance. Quant à leur révocation, elle s’effectue, pour juste motif, soit par le conseil de surveillance, soit – c’est le cas en France – par l’assemblée générale sur proposition du conseil de surveillance.Certains pays imposent le mécanisme du directoire et du conseil de surveillance. Ce système, facultatif en France, est obligatoire aux Pays-Bas pour les grandes sociétés. Telle paraît d’ailleurs être l’orientation la plus récente du droit européen. Le contenu des pouvoirs du conseil de surveillance dépend très étroitement de sa composition. Dans les pays où il est composé de représentants des actionnaires (France), il est chargé d’une mission permanente de contrôle de la gestion. La situation est un peu différente dans les pays où le conseil de surveillance sert d’organe de cogestion.C’est ainsi que le droit allemand confère aux salariés de l’entreprise une place dans le conseil de surveillance. Ils y possèdent les mêmes prérogatives que les membres élus par l’assemblée générale. Il est certain que la présence de salariés dans le conseil de surveillance ne peut qu’infléchir le type de contrôle qui y est exercé.Il en va de même avec la loi néerlandaise de 1971. Le conseil de surveillance est obligatoire dans les grandes sociétés, et ses membres sont cooptés sous réserve du refus de la personne proposée, du veto de l’assemblée générale ou du conseil syndical. L’assemblée générale a donc perdu tout pouvoir direct de nomination. La représentation des travailleurs dans le conseil de surveillance est indirecte: les membres du conseil ne doivent pas être récusés par eux, ce qui revient à dire qu’ils doivent avoir leur entière confiance. En cas de conflit entre les différents organes, le litige est tranché par une instance de droit public.En apparence, la dualité des organes de gestion n’existe pas en droit anglo-saxon. Les sociétés anonymes sont gérées en effet par un Board of Directors unique. La réalité est plus complexe, car au sein du Board of Directors on a tendance à voir apparaître une différence entre les administrateurs actifs (l’équivalent des administrateurs ou des directeurs du droit français) et des administrateurs passifs qui représentent soit un groupe d’actionnaires, soit un créancier (une banque par exemple). Leur rôle plus effacé tend à les rapprocher d’un rôle de simple organe de contrôle.L’assemblée généraleL’assemblée générale n’est plus l’organe souverain de la société. Ses prérogatives sont énumérées limitativement par la loi: elle n’a qu’un pouvoir résiduel et perd parfois le pouvoir de nommer ou de révoquer les organes de gestion. Elle ne conserve que deux droits intangibles: la modification des statuts et l’approbation des comptes sociaux.Le nombre des actionnaires est tel que les assemblées générales sont caractérisées par l’absentéisme. De nombreuses tentatives ont été faites pour l’éviter. Le droit français a cherché à développer l’information délivrée aux actionnaires sur la vie sociale. L’absentéisme demeure malgré tout, et la technique des pouvoirs en blanc donne aux administrateurs en place la mainmise sur l’assemblée. Il en est de même en Allemagne où ce sont les banques qui siègent comme mandataires de leurs clients, ce qui est loin d’être satisfaisant, leur politique pouvant être fort différente de celle des actionnaires représentés.Une solution plus convenable a été trouvée, sous l’égide de la Securities and Exchange Commission , aux États-Unis; elle repose sur le mécanisme des procurations et sur le vote par correspondance. Il est aussi possible d’organiser, avant l’assemblée générale, une véritable opposition qui peut présenter des projets de résolution. Le vote par correspondance a été reconnu par la loi française du 3 janvier 1983. Une amélioration considérable est intervenue dans le domaine des comptes sociaux. Les droits européens ont fait sur ce point des progrès très sensibles, et l’harmonisation est en voie de réalisation.Les droits de la minoritéLa question des droits de la minorité ne se pose que dans les sociétés anonymes de grande taille. Elle n’apparaît pas avec la même acuité dans les sociétés «fermées». La protection de la minorité résulte de plusieurs dispositions.Il s’agit tout d’abord du droit, reconnu par la loi française de 1966, pour les minoritaires d’obtenir en justice la nomination d’un expert chargé de faire un rapport sur une ou plusieurs opérations de gestion.Il s’agit ensuite de l’abondant travail jurisprudentiel qui a conduit à admettre qu’un actionnaire pouvait, en cas de désaccord grave entre actionnaires, demander au juge la nomination d’un administrateur provisoire et l’annulation des décisions entachées d’abus de majorité.Il s’agit enfin du rôle efficace assuré par les autorités chargées de la surveillance du marché financier. Tel est le cas de la Securities and Exchange Commission aux États-Unis, du ministère du Commerce et de l’Industrie en Grande-Bretagne, de la Commission bancaire belge, de la Commission d’opérations de Bourse en France et de la Consob (Commissione nazionale per le Società e la borsa) en Italie.Certains droits vont encore plus loin en admettant que le juge peut ordonner le redressement des comptes, annuler les décisions des dirigeants ou encore les révoquer. Telle est la compétence reconnue à la Chambre de l’entreprise de la cour d’appel d’Amsterdam depuis la loi de 1971.On constate ainsi que, dans la grande société anonyme, la propriété du capital est bien près d’être dissociée du pouvoir. Le renforcement des droits des minoritaires est le seul frein mis à une dissociation totale tant il est vrai que, dans une collectivité de ce genre, le pouvoir ne peut se manifester que s’il est organisé. La propriété non organisée a perdu tout pouvoir.3. Les actionsLes droits des apporteurs du capital sont représentés par des parts sociales négociables appelées actions . La négociabilité est de la nature de l’action. Toutefois, les sociétés anonymes émettent d’autres titres négociables, représentant un prêt fait à la société, les obligations, dont certaines sont convertibles ou échangeables en actions [cf. VALEURS MOBILIÈRES].La négociabilité des titres peut être limitée par la mise en œuvre d’un droit d’agrément. Celui-ci permet de maintenir un certain intuitus personae dans la société. Le droit d’agrément est confié, en général, à l’organe de direction. Il ne doit pas conduire à rendre l’actionnaire prisonnier de son titre ; le droit français impose donc à la société qui refuse l’agrément de proposer un actionnaire au cédant.Il existe deux formes d’actions: les actions au porteur constituant le modèle le plus parfait de titres négociables et se transmettant par simple tradition, et l’action nominative se transmettant par transcription dans un registre tenu par la société.La plupart des législations offrent un choix aux sociétés anonymes entre ces deux types d’actions. Les pays anglo-saxons utilisent de préférence l’action nominative. La solution inverse est retenue en Europe sous le prétexte que cette forme facilite l’accès au marché financier. En réalité, il n’en est rien puisque les marchés anglo-saxons sont plus florissants alors même que l’action nominative est la plus fréquente. Les raisons du choix sont d’ordre fiscal: l’action au porteur échappe à tout droit de mutation. C’est précisément pour ces raisons fiscales que le législateur français a imposé, depuis 1981, la forme nominative à toutes les sociétés anonymes qui ne font pas l’objet d’une cotation à une bourse de valeurs. Il en résulte que le nombre des sociétés pouvant émettre des actions au porteur a diminué dans une proportion considérable.L’action représente les droits de l’associé: elle lui permet de participer à la distribution de bénéfices et à la gestion de la société par son vote en assemblée générale. La détention d’une action traduit, en principe, l’affectio societatis . En réalité, l’achat de la souscription d’actions est, pour de nombreuses personnes, un simple placement financier espéré rémunérateur. La participation à la vie sociale n’est pas l’élément moteur de l’acquisition. C’est la raison pour laquelle de nombreuses législations ont créé des actions sans droit de vote ou à droit de vote limité. En contrepartie, les détenteurs de ces titres ont un droit privilégié sur les bénéfices sociaux. C’est le cas, en France, des actions à dividende prioritaire sans droit de vote. L’intérêt de cette technique paraît double: elle permet une augmentation de capital sans remettre en cause l’équilibre des forces dans la société; elle constitue un placement plus rémunérateur. Le succès de cette formule demeure, au moins en France, très réduit.Il existe, à l’inverse, des actions à vote plural. Leur utilisation est en net déclin. Toutefois, la loi française de 1966 prévoit un droit de vote double pour certaines actions nominatives [cf. VALEURS MOBILIÈRES].4. Concentration économique et société anonymeLa société anonyme est au cœur de la concentration économique que connaissent toutes les sociétés développées. Cette concentration prend plusieurs formes plus ou moins réglementées par le droit; elle débouche sur un phénomène moins bien cerné, celui des groupes et des sociétés multinationales.Techniques de concentration et sociétés anonymesDe nombreuses techniques de concentration, qui peuvent parfois être utilisées par d’autres formes de sociétés, ont été réglementées à partir du cas des sociétés anonymes.Tel est le cas des fusions . Si l’on écarte le droit néerlandais, le droit des fusions des pays d’Europe continentale repose sur une définition stricte de l’opération. La fusion suppose en effet que l’ensemble du patrimoine d’une société soit transféré à une ou plusieurs sociétés existantes ou créées pour la circonstance. La fusion implique la disparition de la personnalité morale de la société absorbée et l’échange de ses titres contre des titres de la ou des sociétés absorbantes.Il convient que soit assurée à l’ensemble des actionnaires une parité d’échange équitable. C’est ce qui justifie la diffusion d’une information complète sur l’opération et l’intervention des assemblées générales extraordinaires.Dans certains pays (États-Unis), la réalisation d’une fusion permet aux actionnaires de se retirer de la société en faisant racheter leurs parts.Pour sauvegarder les droits des créanciers sociaux, on leur accordera soit un privilège, soit un droit d’opposition. Quant aux salariés, tenus à l’écart de la décision, leur situation est plus précise. La concentration économique conduisant souvent à une réduction du volume des emplois, une protection leur a été accordée par certaines législations. C’est ainsi qu’en France la société absorbante doit continuer tous les contrats de travail conclus avec la société absorbée, le comité d’entreprise devant être consulté sur le projet de fusion.Le plus souvent, la concentration se réalise par un rachat des parts sociales qui, pour la circonstance, prend le nom de prise de contrôle . Lorsque la société n’est pas cotée en Bourse, la prise de contrôle par cession d’actions n’est pas spécialement réglementée. La jurisprudence française, après avoir nié la spécificité de cette opération, tend actuellement à tenir compte de son particularisme afin de mieux protéger les actionnaires minoritaires et les salariés. Lorsque la société est cotée en Bourse, c’est la technique de l’O.P.A. (offre publique d’achat) ou de l’O.P.E. (offre publique d’échange) qui sera utilisée.Ces opérations sont très couramment utilisées en Grande-Bretagne et aux États-Unis. Leur apparition en Europe continentale est plus récente. Il s’agit pour une société (l’initiateur) de proposer au public le rachat d’actions d’une société cotée à un prix généralement bien supérieur au cours de Bourse, ou un échange de titres. Ce mécanisme présente, outre le danger d’une déstabilisation de sociétés importantes, celui d’introduire un germe d’inégalité entre les actionnaires et de perturber les cours de Bourse. C’est pourquoi une réglementation a été établie, généralement sous l’impulsion des milieux financiers. Il s’agit du City Code on take over and mergers et de la réglementation française établie avec le concours de la Chambre syndicale des agents de change et de la Commission des opérations de Bourse. Ces dispositions permettent de contrôler l’information réalisée par l’initiateur afin que tous les actionnaires de la société visée puissent également bénéficier de l’offre de rachat ou d’échange. Une surveillance étroite du marché financier permet d’éviter que l’O.P.A. ne soit l’occasion de manipulations des cours.Sociétés anonymes et résultats de la concentrationLe principe de la négociabilité des actions fait des sociétés anonymes l’un des éléments clefs du phénomène des groupes de sociétés organisées autour d’une société mère et de multiples filiales.Le phénomène des groupes de sociétés est essentiellement économique. Encore peut-on douter que le groupe constitue réellement une unité économique; il s’agit souvent d’un vaste ensemble dont les contours sont très incertains. Le groupe n’est pas une personne morale autonome et ne se substitue pas à la personnalité des sociétés qui le composent.Du point de vue de la stratégie économique, on peut affirmer que le groupe a un intérêt propre. Ce phénomène économique perturbe gravement le droit des sociétés qui est exclusivement centré sur l’intérêt social de chaque société. Comment dès lors concilier l’intérêt économique du groupe et l’intérêt juridiquement protégé de chacune des sociétés qui le composent? Peut-on sacrifier l’intérêt social d’une filiale à l’intérêt économique général du groupe?Peu de législations ont résolu ce problème. La contradiction paraît totale entre la constitution d’un intérêt de groupe légalement protégé qui permettrait aux sociétés mères de donner des injonctions à leurs filiales et les intérêts des actionnaires de ces dernières qui risquent d’être sacrifiés au profit d’un intérêt qui les dépasse. La loi allemande de 1965 a longtemps été citée en exemple: elle remplace l’intérêt social par un intérêt de groupe tout en instaurant un dispositif de protection des intérêts «hors groupe» (minoritaires et créanciers). Toutefois, elle ne repose sur aucune définition objective du groupe: elle ne s’applique que si un contrat de groupe a été conclu. En pratique, de tels contrats ont été rares. Le relatif échec de la loi allemande fait que la politique législative des pays qui ne connaissent pas de véritable droit des groupes s’est infléchie; on tente d’appréhender le phénomène indirectement en en limitant les abus les plus criants: tel est le cas de la loi britannique sur les comptes consolidés et de la loi française du 3 janvier 1985 en cette matière, lois prises en application de directives européennes. Le droit du travail français, de son côté, a mis en place certaines protections spécifiques; cette même orientation apparaît dans la directive européenne du 22 septembre 1994 sur les comités de groupe.Sociétés anonymes et sociétés multinationalesLe droit des sociétés, organisé sur une base nationale, est impuissant à saisir l’ultime résultat du phénomène de concentration: l’internationalisation de l’activité des sociétés. On distingue deux catégories de multinationales. Les premières ont une activité internationale et des filiales dans de multiples pays, mais elles sont rattachées à un seul État par un établissement central. Elles traduisent ainsi la domination des économies les plus développées. Les secondes n’ont plus de rattachement national déterminé en raison du caractère multinational des capitaux dont elles disposent. Elles apparaissent alors plutôt comme des procédés de collaboration internationale.Les problèmes posés par ces deux catégories de sociétés sont différents. Les premières perturbent la politique économique des États dans lesquels elles s’implantent. Leur influence sur le niveau d’emploi est considérable, les salariés pouvant être victimes de leur politique de désinvestissement. Leur dimension leur confère souvent une véritable immunité à l’égard de la politique économique des pays d’implantation, ce qui rend particulièrement difficile le contrôle de leur activité par des moyens juridiques. Les secondes soulèvent éventuellement des difficultés en droit du travail en raison de l’absence d’une organisation internationale des relations collectives de travail. L’élaboration d’un statut adapté est néanmoins possible sur la base de conventions internationales et d’harmonisation des législations. Telle est l’orientation de la C.E.E. en cette matière, notamment dans le projet de statut d’une société anonyme soumise exclusivement au droit européen.
Encyclopédie Universelle. 2012.